
- Crédits photos : Frédéric GRIMAUD
Portrait d'entrepreneur : Rodolphe DURAND, Dirigeant de LA FILATURE
Dirigeant de LA FILATURE, Rodolphe DURAND nous livre son témoignage. Son parcours, la création et le développement de l'entreprise, son rôle d'entrepreneur et bien plus encore, à découvrir dans cette nouvelle édition du "Portrait d'entrepreneur". Bonne lecture !
Rodolphe, pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Rodolphe Durand, j’ai 57 ans, je suis marié, père de deux enfants, j’habite sur Louviers et y travaille depuis 2003. Je ne suis pas issue de la region Normandie, mais j’ai passé suffisamment d’années pour l’apprécier et y vivre avec toute ma famille.
Pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre parcours ?
Je suis diplômé d'un BAC+3 en ventes et j'ai commencé ma carrière dans l'agroalimentaire, travaillant d'abord dans les achats industriels. En 1998, j'ai eu l'opportunité de relever un nouveau défi en suivant un investisseur qui rachetait une entreprise de fabrication de yaourts en Gironde. Il a eu la folie de m'embaucher pour l'accompagner sur les achats, et je suis parti m'installer là-bas avec mon épouse. L'expérience n'a duré que 4 ans et, malheureusement, nous n'avons pas réussi à relever le challenge. Cependant, cette expérience a été très formatrice.
Après cela, j'ai cherché du travail et le hasard m'a conduit en Normandie, où j'ai intégré le groupe Aptar sur le site du Vaudreuil, dans le secteur des achats. J'y ai travaillé pendant 7 ans, de 2003 à 2010, avant de mettre fin à ma carrière de salarié. J'avais besoin de relever un nouveau défi, alors j'ai créé ma première entreprise dans le domaine des achats et de l'optimisation des coûts. Mon objectif était d'accompagner les PME et TPE pour réduire leurs frais généraux.
Je savais que je ne ferais pas cela toute ma vie, mais que mes rencontres, mon réseautage et mon expérience me mèneraient vers autre chose. Et c'est exactement ce qui s'est passé ! En 2015, j'ai participé à un séminaire sur le numérique et j'ai réalisé que l'important n'était pas de savoir si j'étais d'accord avec le numérique, mais de comprendre ce que je pouvais en faire. Cette réflexion m'a conduit à l'idée de lancer un espace de coworking à la campagne, à Louviers.
Pourquoi avez-vous choisi d’implanter votre espace de coworking à Louviers ?
J'ai découvert le coworking à Rouen, chez Now Coworking, et j'ai beaucoup aimé leur concept. Je me suis alors demandé si je pouvais faire quelque chose de similaire près de chez moi. J'ai hésité entre Louviers et Évreux, mais Louviers m'a semblé plus pertinent géographiquement et économiquement. La gare SNCF de Val-de-Reuil, l'autoroute et la centralité de la ville étaient des atouts majeurs, sans oublier la dynamique économique et la présence de belles entreprises sur le territoire.
L'autre point déterminant a été le soutien de l'agglomération. Dès que j'ai parlé de coworking, ils ont montré un grand intérêt et m'ont beaucoup aidé à trouver le bon bâtiment. Ils ont rapidement compris que leur projet de cité du numérique s'accordait parfaitement avec l'idée de coworking numérique. Leur accompagnement a été précieux dès le démarrage.
Pouvez-vous nous présenter l’activité de LA FILATURE ?
Pour présenter l’activité de LA FILATURE, je vais vous présenter le projet que j’ai présenté à l’époque. Une fois le bâtiment trouvé, il a fallu se projeter dedans, ce qui n'était pas simple. Définir le besoin d'un espace était particulièrement complexe. Nous avons réussi à dimensionner quelque chose qui nous semblait audacieux et pertinent par rapport à nos objectifs. L'idée était de ne pas se limiter au coworking, surtout en milieu rural où les habitations sont souvent plus grandes et les familles mieux organisées. Nous avons donc imaginé un modèle de coworking hybride, avec différents types d'espaces pour répondre à tous les usages professionnels, de l'auto-entrepreneur à la multinationale.
Nous avons créé deux open spaces, des bureaux, des salles de réunion, et conservé une partie de la halle pour phaser le projet. Le bâtiment fait 1700 m², dont 1000 m² aménagés en espaces de travail. La première phase de 600 m² nous a permis de valider le potentiel et les espaces les plus demandés. Ensuite, nous avons agrandi de 400 m², ajoutant des petits bureaux et une grande salle de réunion. Sur les 700 m² de halles restantes, 500 m² sont dédiés à l'événementiel, répondant à un besoin identifié dès la première année.
En décembre 2024, nous avons célébré nos 7 ans. En relisant le projet initial, j'ai constaté que nous avions réalisé exactement ce que nous avions prévu. Le modèle de coworking inclut également une dimension d'animation, et nos offres sont sans engagement, ce qui est un vrai plus pour les entreprises. Nos espaces de travail sont tout inclus, comme dans l'hôtellerie, avec un tarif fixe couvrant tous les services. Ce modèle plaît de plus en plus, car il simplifie la gestion immobilière pour les entreprises.
Votre histoire de LA FILATURE ne s’arrête pas là, n’est-ce pas ?
Quand j'ai lancé le projet à Louviers, je pensais que cela suffirait. Mon objectif était de pouvoir me payer un salaire ainsi qu'à mon équipe. Mais la Covid est arrivée, et en juin 2020, lorsque nous avons pu nous retrouver un peu, j'ai dit à mon équipe qu'il fallait se réinventer. Nous avons imaginé le pire, que la Covid durerait 10 ans, et nous avons réfléchi à ce que nous pourrions faire. Plusieurs idées ont émergé, comme la location de nos locaux le week-end et la nuit pour des formations ou des événements. Bien que l'événementiel le week-end soit faisable, les formations la nuit sont plus difficiles à organiser.
Cette période a aussi été une opportunité pour nous, avec la montée du télétravail et la réticence des entreprises à s'engager sur des baux classiques. Cela m'a fait réaliser que notre modèle était pertinent et rentable. Nous avons alors envisagé d'ouvrir d'autres espaces, et Évreux est apparu comme une option viable. Malgré plusieurs visites de bâtiments sans coup de cœur, nous avons finalement découvert que la Banque de France allait vendre un bâtiment. Ce projet était plus ambitieux que prévu, mais nous avons décidé de le tenter.
Nous avons appliqué le modèle de Louviers à Évreux, en conservant les mêmes valeurs et fondamentaux, comme l'accueil chaleureux. Nous avons également ajouté des éléments nouveaux, comme un escape game. Nous réfléchissons à intégrer ces nouveautés à Louviers également.
Un aspect important de notre démarche est la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et le développement durable. À Évreux, nous avons travaillé avec l'ADEME et des experts pour limiter notre impact sur la planète, en réutilisant des matériaux et en achetant de la seconde main. 95% du mobilier est de seconde main, ce qui contribue à la convivialité et au bien-être sur le site. Nous encourageons aussi les entreprises à adopter cette démarche.
Nous essayons de travailler avec des partenaires locaux, que ce soit pour les travaux ou les prestations traiteur. Cela permet de soutenir l'économie locale et de limiter notre impact environnemental.
Quelles sont les valeurs que vous défendez ?
Pour être complet sur nos valeurs, nous nous efforçons de travailler sur tous les aspects de la RSE et du développement durable. Par exemple, nous avons été la première entreprise à signer la charte du parcours métier avec la région. L'idée était d'aider les étudiants, les lycéens et les personnes en formation à découvrir des lieux comme les nôtres, qui sont encore méconnus mais très actuels. Nous souhaitons également leur faire découvrir différents métiers grâce aux professionnels qui travaillent chez nous, car nous avons une clientèle très diversifiée.
Nous accueillons régulièrement des stagiaires, depuis la troisième jusqu'aux études supérieures, et nous organisons de plus en plus de visites de nos sites. Personnellement, je vais souvent dans les centres de formation pour présenter mon parcours avec humilité. Je pense que mon parcours est intéressant à connaître, car beaucoup de gens peuvent s'y identifier. J'étais un salarié avant de décider de me lancer et de faire des choses audacieuses.
Aujourd’hui, de quoi êtes-vous le plus fier ?
Je ne sais pas comment l'exprimer, mais je suis assez fier d'avoir ouvert un deuxième site. Cela démontre que j'ai créé un modèle qui, au départ, paraissait fou. Une anecdote importante à ce sujet : lorsque j'ai parlé de mon projet à Louviers à d'autres chefs d'entreprise, beaucoup étaient sceptiques. Je faisais déjà partie de certains réseaux, et plusieurs d'entre eux m'ont dit, quelques mois après l'ouverture, alors qu'ils voyaient que ça commençait à bien marcher, qu'ils n'y croyaient pas du tout au début. Le fait de lancer ce projet à Louviers les laissait perplexes. Beaucoup ne comprenaient pas ce que je voulais faire, mais ils ont fini par comprendre.
J'ai écrit une fois dans un post : "Personne ne m'a dit que c'était impossible, alors je l'ai fait." Je suis plutôt fier d'avoir réussi à créer un deuxième espace, même s'il n'est pas encore complètement rentable. Il n'y a pas de raison que ça ne fonctionne pas, car nous sommes en phase avec les tendances actuelles. Si j'avais 10 ou 15 ans de moins, je pense que j'en ouvrirais d'autres.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de diriger votre propre entreprise ?
Ce qui m'a poussé à me lancer, c'est un certain ennui dans une entreprise qui était pourtant très belle et qui l'est toujours. En 2010, à 42 ans, je me suis dit que j'étais à la moitié de ma carrière professionnelle. Si je voulais tenter quelque chose de nouveau, il ne fallait pas trop tarder. C'était l'idée de base. Ensuite, il fallait trouver un projet viable. J'ai créé ma première entreprise, HEMERO, qui a duré 5-6 ans. Beaucoup de gens veulent créer leur propre entreprise, mais il faut trouver une idée viable, ce qui n'est pas simple.
J'étais convaincu qu'en démarrant une première activité, ma curiosité me mènerait à une autre idée pour aller plus loin. Cela a été possible grâce à ma femme extraordinaire. Quand j'ai dit à ma famille que je quittais une bonne entreprise près de chez nous, où je pouvais m'occuper des enfants et où j'étais bien payé, pour commencer à la maison avec un revenu incertain, il fallait un conjoint qui y croit. Elle m'a soutenu et permis de réaliser ce projet. Sans elle, je ne l'aurais pas fait pour des raisons économiques évidentes.
Que préférez-vous aujourd’hui dans votre rôle d’entrepreneur ?
J'adore ce que je fais parce que mon activité me passionne. Je rencontre beaucoup de gens intéressants et la polyvalence de mon poste me plaît énormément. Cette polyvalence signifie que je touche à tout, avec ses aspects positifs et ses défis. Parfois, certaines tâches peuvent être complexes et me dépasser un peu, mais j'ai l'intelligence de m'entourer des bonnes personnes. Quand je ne sais pas quelque chose, je fais appel à ceux qui savent.
Ce que j'aime le plus, c'est la création. J'ai la chance d'avoir deux équipes formidables qui gèrent le quotidien, accueillent les clients, font les devis et présentent les lieux. Tout fonctionne très bien grâce à elles. Ce qui m'excite vraiment, c'est d'imaginer et de créer des lieux atypiques, de les faire revivre et de recréer des espaces de vie et de travail. Si j'avais 10 ou 15 ans de moins, j'aurais probablement ouvert d'autres sites.
J'essaie toujours de minimiser notre impact sur la planète. C'est ma petite contribution pour rendre notre monde un peu meilleur.
Comment se porte votre activité actuellement ?
Il y a les circonstances actuelles et la situation économique. Les entreprises qui envisageaient de faire des réunions ou des événements à l'extérieur préfèrent les organiser chez elles ou les reporter. Cela rend la situation un peu tendue, que ce soit à Évreux ou à Louviers.
Cependant, il y a aussi des opportunités. Beaucoup d'entreprises se questionnent sur leur immobilier, se demandant si elles doivent conserver leurs bâtiments ou envisager des alternatives comme le coworking. Des lieux comme LA FILATURE offrent une solution où tout est pris en charge, avec des activités supplémentaires comme un English Corner pour améliorer l'anglais. Cela peut rendre l'entreprise plus attractive. Dans notre modèle, ces aspects sont étroitement liés et ne vont pas l'un sans l'autre.
Un sujet important pour nous, comme pour beaucoup d'autres, est le prix de l'énergie. Lorsque les prix ont beaucoup augmenté, nous avons dû faire face à des défis, car les gens aiment être chauffés en hiver et refroidis en été. L'électricité reste donc un enjeu majeur. Même si je travaille avec une plateforme pour faire des achats groupés, l'énergie reste un sujet crucial. Il faut rester vigilant, car on ne sait pas si les prix vont continuer à augmenter.
Quels sont les prochains projets pour LA FILATURE ?
Oui, nos projets actuels sont un peu moins ambitieux que ceux réalisés récemment. Nous nous concentrons davantage sur la réinvention de notre espace pour que les visiteurs réguliers puissent constater des nouveautés à chaque visite. Par exemple, en décembre, nous avons introduit deux nouveaux véhicules dans la halle pour créer des bureaux éphémères et de passage. Ces véhicules autonomes, bien que fixes, apportent une touche d'originalité.
Nous envisageons également d'ajouter un Escape Game, même si nous ne sommes pas sûrs de pouvoir le réaliser cette année. À Évreux, nous finalisons les aménagements, notamment les extérieurs. Nous allons aménager ce que nous appelons maintenant l'observatoire, un rooftop où les gens pourront déjeuner dans des alcôves. Ces aménagements permettront aux visiteurs de passer des moments très agréables à l'extérieur.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose en conclusion ?
Dans tout ce que nous avons évoqué, l'être humain reste au centre de tout. J'en ai parlé en ce qui concerne ma famille et mes équipes. Sans leur soutien, rien de tout cela ne fonctionnerait. C'est également vrai pour notre réseau en général. Par exemple, savoir que nous sommes soutenus par des structures telles que le MEDEF est réconfortant et apporte beaucoup d'informations utiles. Que ce soit des informations générales ou des réponses à des problématiques spécifiques, ce soutien est précieux.
Je préfère travailler en réseau, avec un écosystème qui inclut le MEDEF et d'autres réseaux. C'est extrêmement important. Pour ceux qui ne font pas encore partie de ce type de réseau, je pense qu'ils devraient sérieusement envisager de le faire. De nos jours, c'est indispensable. Vous êtes une véritable partie prenante de notre survie et de notre réussite.
Merci Rodolphe.
Pour en savoir plus : https://lafilature.space/